Astrid était Correspondante locale de Presse dans la Presse Quotidienne Régionale
(PQR) en Normandie. Elle m'a très récemment contacté pour avoir des renseignements sur la question de la propriété morale des textes et photos des CLP. Je lui ai répondu avec les données que j'avais, et elle a consenti, en échange, à me parler de son expérience dans la profession. Vous allez voir, c'est
croustillant...
Comme quoi, s'il y a des similitudes troublantes d'un cas à l'autre, on trouve toujours pire que le sien, ailleurs!
"J'ai vu une annonce pour être CLP et je me suis dit que c'était pour moi. (...)
Paradoxalement, c'était aussi un challenge parce que je m'étais laissée enfermée pendant plus de dix ans dans une vie monotone et routinière que je ne supportais plus très bien.
Mon premier article, à l'essai, j'ai du mettre 3 heures pour l'écrire, en voulant réviser des siècles d'histoire et d'économie pour m'apercevoir qu'on ne pouvait pas dire grand chose dans un
nombre de signes calculé et limité… J'avais d'ailleurs raté ma photo, mais il a été publié, puis j'en ai écrit 4 la semaine suivante, puis 8, puis plus d'une dizaine par semaine. En période
chargée, il m'est même arrivé d'en écrire trente en une nuit pour respecter mes délais et pour finalement n'en voir que la moitié de publiés par exemple…
Bref, j'ai fini par couvrir tout mon canton de 21 communes, avec quelques débordements sur les cantons voisins pour rendre service, en proposant chaque semaine un article d'ouverture de mon
choix. Je suis devenue en même temps très populaire et très heureuse de l'être.
J'avais l'impression de revivre. Je ne cache pas que j'adore ça. J'ai rendu énormément de services, intervenant parfois plus en conseil qu'autre chose. J'ai même préparé tous mes articles à
l'avance (pour ceux où c'était possible) pour être publiés pendant mes vacances, je relançais les interlocuteurs le moment venu pour faire des articles d'annonce et non pas des compte-rendus,
etc. L'inconvénient est qu'à force, les gens te font confiance et te disent : "allez-y, vous savez bien, je vous fais confiance !" et ne te donnent plus vraiment d'infos. Ça devient aussi un
challenge de trouver toujours un angle différent, mettre en lumière quelque chose qui est près de nous et que l'on ne voit pas de cette manière-là…
Seulement, j'ai aussi eu le tort de postuler à une place de journaliste en en parlant d'abord à la personne juste au dessus de moi dans la "hiérarchie"… Résultat, petit à petit, on a saboté mes
articles en changeant un titre ou en faisant systématiquement une faute ou en omettant le détail qui tue ! Au départ, je me disais qu'il fallait vraiment être idiot ou étourdi mais j'ai fini par
comprendre tardivement que cela devait être calculé. On m'a laissé espérer, jamais ouvertement mais par sous-entendus ou non-dits, "si tu veux être journaliste…", "un bon journaliste fait ci ou
ça"… la carotte, quoi !
En fait, j'ai du collaborer avec une personne à la fois extrêmement laxiste et fumiste qui m'a donc laissé faire bien plus que ce doit faire un CLP, et
ça c'était génial, mais aussi quelqu'un de machiavélique qui visait la place de son chef, et donc a légèrement aidé pour qu'il soit remercié, tout en me gardant sous la main au cas où… et donc
dans une constante tension, pression mais jamais dite ouvertement. Finalement, la personne n'a pas eu le poste et moi j'ai découvert le pot aux roses.
J'ai tout couvert, de la poule aux dominos, lotos ou club du 3ème âge aux différentes inaugurations ou entretiens avec parfois des personnalités. Evidemment puisque les journalistes, eux, ne
travaillent pas le samedi !
Avant de quitter le journal, j'ai reformulé mon souhait de passer journaliste et là enfin, la nouvelle directrice de publication m'a dit franchement que cela n'était pas envisageable, et que cela
ne l'avait sûrement jamais été. Pour ma part j'avais deux choix, soit je continuais au même rythme mais pas au même salaire, soit je baissais considérablement ma collaboration pour me permettre
de développer autre chose. (Il faut quand-même savoir que je n'ai jamais gagné plus de 400 euros dans un mois, que l'on révisait systématiquement mes piges à la baisse, et que je me suis laissée
faire, je l'avoue, en espérant que l'on reconnaîtrait -le moment venu- ma "docilité".
En même temps, plus j'en faisais, plus cela me faisait de l'expérience pour un éventuel book). On m'a alors
répondu sur la deuxième proposition, mais me demandant quand-même de faire 6 pages chaque semaine, avec une interview et/ou un portrait de personne ou d'asso, et des articles plus développés.
Evidemment les articles plus longs sont finalement moins payés alors qu'ils demandent plus de travail ! Si ce n'est pas se moquer du monde !
Et puis, ils sont revenus sur un accord concernant les compte-rendus de conseils municipaux que je devais faire, d'une part parce que les élections s'annonçaient et qu'il y avait une volonté de
"créer la micro-actualité", m'a-t-on dit (autrement dit mettre la pagaille, ce qui n'est pas du tout le rôle d'un journal local) et puis parce que c'est évidemment la meilleure source d'infos
pour les projets à venir. Oui, parce que j'ai aussi omis un détail, certains journalistes et/ou stagiaires n'hésitent pas à piquer le sujet d'un correspondant ou à se l'approprier d'une façon
inélégante.
D'ailleurs, c'est assez insupportable de travailler dans un journal plusieurs années et de devoir subir les "conneries" et inexpérience de stagiaires qui eux ne sont là que pour un mois ou deux
(donc se fichent des retombées à gérer plus tard) mais bénéficient de tous les avantages du journaliste, y compris du salaire…
Finalement, comme j'avais déjà en tête l'idée de créer quelque chose, un site, un blog…j'ai arrêté tout simplement.
Aujourd'hui, le journal ne tient même pas les 4 pages sur mon secteur, les gens sont horrifiés mais ça continue, il faut croire que l'on se fait à tout ! Et ça va repartir car un nouveau
correspondant plus motivé est arrivé, il en a besoin pour une expérience supplémentaire sur son CV… et le tour est joué.
Ce qui est tout de même incroyable, c'est que je pense pouvoir dire qu'à un moment donné, le journal tournait grâce à 4 correspondants, payés presque rien alors que les deux journalistes et le
rédac-chef se laissaient vivre, payés minimum au smic bien-sûr, si ce n'est plus… avec voiture de fonction, etc. De toute façon, c'est bien simple, il suffit de reprendre les éditions et de
vérifier les articles signés ou non !
Voilà, aujourd'hui tout mon secteur est au courant de mon projet et je dirais-même l'attend. (...)"
Mais ce qui m'a donné envie vous parler de son cas, c'est qu'Astrid est -elle aussi- en train de monter son journal d'infos en ligne :
"j'ai commencé en voulant créer un magazine d'art. Mais la solution papier coûte chère, donc je suis arrivée au net puis j'ai élargi la cible et les thèmes
pour finalement en venir à un journal local tout sujet avec un créneau légèrement différent pour se démarquer et une rubrique "art" qui sera à part en espérant qu'un jour elle puisse devenir
autonome."
Bref, j'espère pouvoir vous donner sous peu le lien du webzine normand de cette consoeur qui décidément, ne se laisse pas abattre!...